12- Ventes à perte des agriculteurs

Je devais aux agriculteurs de ma circonscription, qui m'avaient sollicité durant la campagne des législatives, de réfléchir à la manière de les protéger des ventes à pertes. Je me suis donc intéressé à ces questions :
- L'état actuel du droit, français, européen et international, nous permet-il d'agir en ce sens ?
- Quelles actions concrètes pourrions-nous prendre ?
- Quel avenir pour les agriculteurs après la fin de la PAC, condamnée par le Brexit et l'arrêt des financements anglais au budget de l'UE ?

J'ai posé les bases de cette réflexion dans une question écrite qu'Ivano Boschetti - mon suppléant durant la campagne électorale - et moi avons remise au député Bernard Perrut (élu LR du Beaujolais) et à Nicolas Dupont-Aignan, que nous représentions aux législatives.  

de droite à gauche : Ivano Boschetti, Bernard Perrut et moi


Le Progrès s'est intéressé à cette démarche et s'en est fait l'écho. 

Le Progrès 02-12-2017


Nicolas Dupont-Aignan a été le premier à répondre. Il m'a informé, par l'intermédiaire de son directeur de cabinet, que mon approche du problème des ventes à perte des agriculteurs deviendrait celle de Debout la France. Je vous livre ici l'intégralité de la question écrite que j'ai remise aux députés.




Jean-Michel Dhimoïla                                                            Francheville, le 20 novembre 2017
44 B Avenue du Chater
69340 FRANCHEVILLE
jeanmichel.dhimoila@gmail.com
Tel. 06 13 97 51 44
                                                                                               M. le Député Perrut
                                                                                               227, Boulevard Gambetta
                                                                                               69400 Villefranche/Saône
                                                                                               M. le Député Dupont-Aignan
                                                                                               Debout la France
                                                                                               BP 18
                                                                                               91330 YERRES

CC : FDSEA et Jeunes Agriculteurs,
18 Av. des Monts d’Or 69890 La Tour de Salvagny
FNSEA, 11, rue de la Baume 75008 Paris


Monsieur le Député Perrut,
Monsieur le Député Dupont-Aignan,

 
J’étais candidat aux élections législatives des 11 et 18 juin derniers pour le parti Debout la France, dans la 9ème circonscription du Rhône. Le mardi 30 mai, durant la campagne électorale, la FDSEA organisait une réunion sur l’exploitation du GAEC de Vaujon, à Saint-Christophe-la-Montagne, afin que les candidats exposent leur programme sur les questions relatives à l’agriculture. 
 
L’une des questions portait sur les ventes à perte des récoltes des agriculteurs et la garantie de leurs prix de vente. Question d’autant plus d’actualité qu’elle est directement liée à la crise du beurre qui conduit les consommateurs à ne plus en trouver dans les rayons des magasins. C’est sur cette problématique que je souhaite revenir ici.

 
Cette question engage l’un des grands principes constitutionnels français qui est l’Égalité entre tous les citoyens. Tous peuvent emprunter les mêmes routes, se faire soigner dans les mêmes hôpitaux, fréquenter les mêmes établissements scolaires, ou encore avoir accès à la justice de la même manière. Pourtant, notre droit a créé une distinction corporatiste qui fera que notre activité professionnelle sera protégée si l’on est commerçant, ou ne le sera pas si l’on est agriculteur.
 
Les articles L420-5, L442-2 et L470-2 du code du commerce interdisent, en effet, aux commerçants de vendre à perte, hors les limites prévues par l’article L442-4. Ainsi, la concurrence entre les magasins s’en trouve considérablement réduite et les revenus des commerçants sont protégés. 
 
Les libraires sont également protégés par la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite loi Lang. Les parlementaires ont imposé que seul l’éditeur fixe le prix de vente au public de son livre, hors une fluctuation de 5%. L’État est ici allé bien au-delà de la prise en compte des seuls coûts de revient.
 
Ce prix de vente minimum, fixé dans le droit français, n’a jamais été jugé contraire au droit européen. Le principe d’un prix plancher inscrit dans la Loi n’est donc pas contesté. Ce prix plancher de vente n’empêche pas la libre circulation des biens et des personnes au niveau européen, et ne contrevient à aucun accord commercial international que nous aurions avec d’autres pays.
 
Dans tous les cas, si nous voulons rétablir le principe constitutionnel d’Égalité, nous ne pouvons nous contenter de la situation actuelle du droit, qui traite de manière différente nos concitoyens suivant la catégorie socio-professionnelle à laquelle ils appartiennent. 
 
Pour la rectifier, il est possible de saisir le Conseil Constitutionnel afin de demander l’abrogation des articles L420-5, L442-2 et L470-2 du code du commerce, ou de la loi n° 81-766 du 10 août 1981.
 
Mais il est également possible d’organiser la protection des prix de vente de toute personne qui produit en France et vend son produit, sur le même principe que les textes de loi visés ci-dessus. Au moins pour ce qui concerne leur prix de revient.

 
Je pense, quant à moi, que des solutions existent pour garantir aux agriculteurs, aux pêcheurs ou aux éleveurs de pouvoir vivre de leur travail. Voici quelques éléments de cette réflexion.
 
Le principe constitutionnel d’égalité devant la Loi implique que si les commerçants sont protégés contre une concurrence déloyale par un prix de vente plancher correspondant au prix de revient, alors les autres corps de métier doivent l’être également pour les produits qu’ils vendent. 
 
La question de la distorsion de concurrence avec nos voisins européens se posera inévitablement : ils n’obéissent pas aux mêmes réglementations et n’ont pas les mêmes charges. Cet argument ne serait valable que si le prix plancher de vente, fixé en France, s’appliquait aux seules productions françaises. Il cesserait d’être pertinent si ce prix était calculé au niveau national et s’appliquerait à tous les produits similaires destinés au marché français, quel que soit leur pays d’origine – à condition toutefois d’interdire les rétro-commissions. 
 
Nous savons, par exemple, que le prix de production d’un litre de lait en France est d’environ 33 centimes. Une entreprise qui voudra acheter du lait pour le marché français devra justifier que ce prix a été payé au producteur, quel que soit le pays de production, si elle veut pouvoir le vendre sur notre territoire.
 
En l’état actuel du droit, il y aurait une infraction aux règles européennes si nous taxons les marchandises qui entrent en France pour protéger nos productions nationales. Mais l’infraction tomberait si l’on imposait qu’aucun produit vendu pour être écoulé en France ne le soit en dessous d’un certain prix que nous aurions nous-mêmes fixé. Prix calculé sur le coût de revient de nos exploitants. Il n’y aurait en effet aucune taxe à l’importation et nous traiterions de la même manière l’ensemble des exploitants, quel que soit leur pays.
 
Chaque entreprise garderait ainsi la liberté de faire venir les produits qu’elle souhaite de n’importe quel pays de l’Union Européenne ou du monde, suivant nos accords commerciaux, mais nos agriculteurs ne seraient plus défavorisés.
 
L’État, qui participe pour une grande majorité au coût de production, au travers des charges sociales, salariales, patronales, de la TVA, des normes sanitaires, de la TIPP et j’en passe, ne peut considérer qu’il n’a pas à s’immiscer dans l’instauration d’un prix de revient minimum : il y participe déjà en poussant ce prix à la hausse, quitte à sacrifier la compétitivité de nos exploitants. 
 
Pour autant, l’État n’aurait pas à fixer ces prix. Cette tâche serait dévolue aux acteurs du secteur, producteurs et syndicats – sans considération de taille ou de représentativité, puisque le calcul du coût est factuel et non lié à l’importance de tel ou tel syndicat. Les grossistes et commerçants n’auraient pas à intervenir dans ce mécanisme. Le mécanisme devrait garantir au producteur indépendant de pouvoir vivre de son travail, et non prendre en compte les intérêts des seuls gros exploitants. L’État garderait le rôle du juge-arbitre, afin de s’assurer que les prix fixés correspondent bien à un coût réel de production.
 
Il ne s’agirait pas d’une entente sur les prix susceptible de les gonfler artificiellement pour assurer des revenus conséquents aux agriculteurs et de nuire aux consommateurs. Il s’agirait seulement de garantir le prix minimum en-dessous duquel l’agriculteur vend à perte, comme nous le garantissons aux commerçants.

Garantir aux producteurs un prix de vente correspondant au prix de revient calculé sur la production française nous obligerait, certes, à acheter plus chers des produits venant d’autres pays, mais elle aurait des vertus qui compenseraient largement ce problème, notamment :
  • Le coût du transport ne serait pas inclus dans le coût de production et devrait être ajouté en sus dans le prix de revient du commerçant, ce qui reviendrait à favoriser les circuits courts, sans les imposer ;
  • Par extension, cela conduirait à réduire la consommation d’énergies fossiles ;
  • Nous passerions d’une logique commerciale du moins disant à une logique du mieux disant puisque, pour un prix de base identique, les négociants auraient intérêt à se démarquer de leurs concurrents par la qualité de leurs produits. Cela ne pourrait avoir que des effets bénéfiques pour la santé et l’environnement ;
  • Nous assurerions aux agriculteurs de pouvoir vivre de leur travail, ce qui permettrait de réduire ou de supprimer les aides européennes, et donc les impôts sur les citoyens ;
  • Garantir aux exploitants de pouvoir vivre de leur production améliorerait considérablement la reconnaissance que nous devons à leur travail ainsi que leur état psychologique. Cela conduirait à une baisse du nombre de suicides des exploitants agricoles, dramatiquement élevé. Ce point a été abordé au sénat lors de la question n° 24706 de la 14ème législature, sans toutefois qu’aucune action n’ait permis de régler ce problème ;
  • Nous amorcerions un processus qui permettrait d’arrêter de tirer vers le bas les conditions de travail et les revenus, en France ou dans les autres pays de l’UE ;
  • Nous lancerions les prémices d’une Europe sociale qui se construirait sur des règles applicables à tous, pour les tirer vers le haut, en faisant augmenter le niveau de vie des travailleurs des pays avec lesquels nous continuerions à commercer.

Seraient concernés par ces prix planchers l’ensemble des productions françaises, qu’elles proviennent de la Métropole ou des Territoires et Départements d’Outre-Mer.

 
Étant donnés les points évoqués ici, pourriez-vous m’indiquer quelle est votre position sur la question de la protection du prix de revient des productions agricoles ? 
 
Pourriez-vous préciser quelles démarches législatives ou juridiques vous comptez entreprendre pour mettre fin à l’inégalité de traitement des citoyens devant la loi, suivant la catégorie socio-professionnelle à laquelle ils appartiennent ?

 
Je vous remercie par avance, Monsieur le Député Perrut, Monsieur le Député Dupont-Aignan, de votre réponse et vous prie d’agréer l’expression de ma parfaite considération.


Jean-Michel Dhimoïla


Ivano Boschetti


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